Paroles de photographes : pour une pensée du travail photographique.
A l’occasion de la rétrospective des œuvres de Diane Arbus au Musée du Jeude Paume, un livre a été publié par le Musée et les Éditions de la Martinière : « Diane Arbus, une chronologie » [Traduction française des textes qui avaient été publiés dans Diane Arbus Revelations à l’occasion de l’exposition au Musée d’Art Moderne de San Francisco en 2003]. C’est une compilation chronologique de notes de travail de Diane Arbus, ses rencontres, ses doutes, ses désespoirs, ses exaltations, ses questionnements, ses lettres… la vie quotidienne de l’ artiste. C’est dans la vie quotidienne de l’artiste que s’inscrit ce qui est possible de « l’œuvrage », que cela s’entremêle… Ce livre m’a fait un bien fou…!
Évidemment, après tant de vie déployée dans ce livre au fil des pages, cela a été violent de me retrouver confrontée au rapport d’autopsie… Un sale coup du réel comme l’est un suicide…Cruel et cinglant… Rapport d’autopsie… provocation ou cran ? Dans tous les cas, les ayants-droits n’ont fait aucune concession, comme le sont les photographies de Diane Arbus… directes et sans concession.
Repartant… j’étais si tourneboulée qu’il m’a été impossible de payer un achat à la librairie… mon numéro de carte bleue m’a échappé… Dans la tête, j’avais toutes ces personnes photographiées par Diane Arbus, ces redoutables têtes en gros plans… Je m’en suis approchée le plus possible, si émue par la couleur et presque la saveur, de la larme qui coule sur la joue de ce bébé hurlant… J’étais prise par ce « quelque chose » saisi dans l’incarnat de la vie. Ce livre va m’accompagner un long temps… Totalement annoté, je vais en acheter un autre, un qui restera tout neuf… Colette Gourvitch décembre 2011.
Paroles de photographes : Pensée et travail
Diane Arbus dit : « Brassaï m’a appris quelque chose sur l’obscurité, parce que pendant des années, j’avais été exclusivement obsédée par la clarté. Je n’ai compris qu’avec lui combien j’aimais ce que je ne pouvais voir sur une photographie. Chez Brassaï, chez Bill Brandt aussi, on trouve la substance même de l’obscurité physique et c’est un grand choc de la découvrir soudain » 1969
Brassaï dit : « Pour mesurer le temps de pose, je fumais des cigarettes. Une gauloise pour une certaine lumière, une boyard s’il faisait plus sombre…» (à propos de Paris de nuit 1933)
Josef Sudek dit : « Je crains ce qui est anguleux, trop défini, trop aligné. je préfère la vie des objets qui n’ont jamais cette certitude simplificatrice. Je suppose que vous connaissez le conte d’Andersen où les jouets des enfants, qui s’endorment, s’animent tout à coup. Je voudrais raconter la vie des objets, représenter du mystérieux, faire voir la septième face du dé ».
William Klein dit : « Mes photos, ce sont les fragments d’un cri informe qui essaie d’exprimer on ne sait quoi. Ce que j’aimerais, c’est faire des photos aussi incompréhensibles que la vie… Le geste de photographier est pour moi un moment de transe où l’on peut saisir plusieurs centaines de choses qui se passent en même temps et que l’on sent, que l’on voit, consciemment ou non ».
Henri Cartier-Bresson dit : « La photographie est une opération immédiate des sens et de l’esprit, c’est le monde traduit en termes visuels, à la fois une quête et une interrogation incessantes. C’est, dans un même instant, la reconnaissance d’un fait en une fraction de seconde et l’organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment et signifient ce fait.
Le principal est d’être de plain-pied dans ce réel que nous découpons dans le viseur. L’appareil photo est en quelque sorte un carnet de croquis ébauchés dans le temps et l’espace, il est aussi l’instrument admirable qui saisit la vie telle qu’elle s’offre. » Préface de Flagrants délits 1968.
Eugène Smith dit : « Je n’ai jamais réalisé une photo -bonne ou mauvaise- sans devoir la payer d’une tourmente émotionnelle ». « Je n’ai jamais trouvé les limites du potentiel photographique. Chaque horizon, après avoir été atteint, en révèle un autre qui fait signe au loin. Toujours, je suis sur le seuil ». « A quoi sert une grande profondeur de champ, s’il n’y a pas une profondeur suffisante de sentiment ».
Edward Steichen dit : « Regardez le sujet, pensez à lui avant de le photographier, regardez le jusqu’à ce qu’il prenne vie et vous regarde en retour ». « La lumière est un charlatan qu’il faut prendre à son propre piège ».
Harry Callahan dit : « Je pense que chaque artiste ou presque tente sans cesse de parvenir au bord du néant, là où il est impossible d’aller plus loin ».
Imogen Cunningham dit : « Quelle photo je préfère de celles que j’ai faites ? celle que je vais faire demain ».
Mario Giacomelli dit : « Je ne connais pas les appareils des autres. J’ai un appareil que j’ai fait bricoler qui tient avec du scotch, qui perd des pièces. Je ne suis pas un passionné de mécanique, j’ai cet appareil, toujours le même, depuis que j’ai commencé à faire des photos. Il a vécu avec moi, il a partagé de nombreux moments de mon existence, bons et mauvais. S’il venait à me manquer… enfin, la seule idée d’avoir à vivre sans lui me serre le cœur. Pour moi, il faut seulement la distance et l’autre chose – comment appelles tu l’autre chose ? »
Manuel Alvarez Bravo dit : « Atget, je le crois, a bouleversé de fond en comble ma façon de penser ; mais pas autant que mon regard. Il m’a fait considérer les choses différemment, il m’a fait me rendre compte d’où je marchais et de ce que je voyais ; en somme, un chemin tout tracé s’ouvrait à mon œuvre. »
Willy Ronis dit : « Ce n’est pas la lumière qui m’a inspiré, c’est ce qu’elle éclaire. »
Sergio Larrain dit : « Il faut aller là où tu le sens… Peu à peu tu vas rencontrer des choses. Et des images vont te parvenir, comme des apparitions. Prends les. »
August Sander dit : « Je ne déteste rien plus que la photographie au sucre avec minauderies, poses et affectations. Cela étant laissez moi dire sincèrement la vérité sur notre époque et ses hommes. »
Inge Morath dit : « J’avais enfin découvert ma propre faculté à exprimer ce qui m’intéressait et m’obsédait d’une manière qui me permette de vivre. Après la guerre, j’ai souvent souffert du fait que ma langue maternelle, l’allemand, était celle de l’ennemi ; j’étais capable d’écrire en anglais et en français, mais ça ne venait pas de l’intérieur. Alors je me suis tournée vers l’image : c’était comme un soulagement, une profonde nécessité ».
« J’ai toujours eu des territoires préférés : l’Iran au Moyen Orient, l’Espagne et le Mexique, la Russie et la Chine. Des pays dont l’influence s’étend au-delà de leurs frontières, des cultures mères. C’est souvent la littérature qui a stimulé mon enthousiasme pour un lieu, l’art visuel et populaire qui ont attiré mon regard. Dès le début j’ai voulu rencontrer et photographier le plus grand nombre possible d’écrivains, de peintres, de danseurs, sculpteurs et potiers, tous ceux dont l’œuvre exprime l’essence et l’âme d’une nation ».
Keiichi Tahara dit : « En France, il m’a fallu du temps pour que je m’habitue au climat. Comme si j’attendais longtemps que la lumière d’ici remplisse mon corps, et que toutes mes habitudes et ce que j’avais en moi se transforment en « mémoires » comme des traces. Mais ces mémoires restent confuses comme la boucle de Möbius dont la face est aussi bien la pile, et qui représentent un monde de chaos »
Paul Strand dit : « Je veux faire naître de grandes émotions à partir de petites choses… »
Lire l’Article : Josef Sudek, le triomphe de la lumière Colette Gourvitch 27 mai 2016