Daguerre cède son invention à l’ État en 1839
Il permet ainsi à chacun, de pratiquer la daguerréotypie, mise au point par lui, grâce à sa collaboration avec Josef Nicéphore Nièpce. 15 juin 1839 – Exposé des motifs présenté pour le projet de loi Daguerre
extraits de «Les merveilles de la photographie»
par Gaston Tissandier Ed. Librairie Hachette et Cie 1874
« Nous croyons aller au-devant des vœux de la Chambre, en vous proposant d’acquérir, au nom de l’État, la propriété d’une découverte aussi utile qu’inespérée, et qu’il importe, dans l’intérêt des sciences et des arts, de pouvoir livrer à la publicité.
« Vous savez tous, et quelques-uns d’entre vous ont déjà pu s’en convaincre par eux-mêmes, qu’après quinze ans de recherches persévérantes et dispendieuses, M. Daguerre est parvenu à fixer les images de la chambre obscure et à créer ainsi, en quatre et cinq minutes, par la puissance de la lumière, des dessins où les objets conservent mathématiquement leurs formes jusque dans leurs plus petits détails, où les effets de la perspective linéaire, et la dégradation des tons provenant de la perspective aérienne, sont accusés avec une délicatesse inconnue jusqu’ici.
« Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’utilité d’une semblable invention. On comprend quelles ressources, quelles facilités toutes nouvelles elle doit offrir pour l’étude des sciences ; et, quant aux arts, les services qu’elle peut leur rendre ne sauraient se calculer.
« Il y aura pour les dessinateurs et pour les peintres, même les plus habiles, un sujet constant d’observations dans ces reproductions si parfaites de la nature. D’un autre côté, ce procédé leur offrira un moyen prompt et facile de former des collections d’études qu’ils ne pourraient se procurer, en les faisant eux-mêmes, qu’avec beaucoup de temps et de peine, et d’une manière bien moins parfaite.
« L’art du graveur, appelé à multiplier, en les reproduisant, ces images calquées sur la nature elle-même, prendra un nouveau degré d’importance et d’intérêt.
« Enfin, pour le voyageur, pour l’archéologue, aussi bien que pour le naturaliste, l’appareil de M. Daguerre deviendra d’un usage continuel et indispensable. Il leur permettra de fixer leurs souvenirs sans recourir à la main d’un étranger. Chaque auteur désormais composera la partie géographique de ses ouvrages ; en s’arrêtant quelques instants devant le site le plus étendu, il en obtiendra sur-le-champ un véritable fac-similé.
« Malheureusement pour les auteurs de cette belle découverte, il leur est impossible d’en faire un objet d’industrie et de s’indemniser des sacrifices que leur ont imposés tant d’essais si longtemps infructueux.
« Leur invention n’est pas susceptible d’être protégée par un brevet. Dès qu’elle sera connue, chacun pourra s’en servir. Le plus maladroit fera des dessins aussi exactement qu’un artiste exercé. Il faut donc nécessairement que ce procédé appartienne à tout le monde ou qu’il reste inconnu. Et quels justes regrets n’exprimeraient pas tous les amis de l’art et de la science si un tel secret devait demeurer impénétrable au public, s’il devait se perdre ou mourir avec les inventeurs !
« Dans une circonstance aussi exceptionnelle, il appartient au gouvernement d’intervenir. C’est à lui de mettre la société en possession de la découverte dont elle demande à jouir dans un intérêt général, sauf à donner aux auteurs de cette découverte le prix, ou plutôt la récompense de leur invention.
« Tels sont les motifs qui nous ont déterminé à conclure avec MM. Daguerre et Nièpce fils une convention provisoire dont le projet de loi que nous avons l’honneur de vous soumettre a pour objet de vous demander la sanction.
« Avant de vous faire connaître les bases de ce traité, quelques détails sont nécessaires.
« La possibilité de fixer passagèrement les images de la chambre obscure était connue dès le siècle dernier ; mais cette découverte ne promettait aucun résultat utile, puisque la substance sur laquelle les rayons solaires dessinaient les images n’avait pas la propriété de les conserver et qu’elle devenait complètement noire aussitôt qu’on l’exposait à la lumière du jour.
« M. Nièpce père inventa un moyen de rendre ces images permanentes. Mais bien qu’il eût résolu ce problème difficile, son invention n’en restait pas moins encore très-imparfaite. Il n’obtenait que la silhouette des objets, et il lui fallait au moins douze heures pour obtenir le moindre dessin.
« C’est en suivant des voies entièrement différentes, et en mettant de côté les traditions de M. Nièpce, que M. Daguerre est parvenu aux résultats admirables dont nous sommes aujourd’hui témoins, c’est-à-dire l’extrême promptitude de l’opération, la reproduction de la perspective aérienne et tout le jeu des ombres et des clairs. La méthode de M. Daguerre lui est propre, elle n’appartient qu’à lui et se distingue de celle de son prédécesseur aussi bien dans sa cause que dans ses effets.
« Toutefois, comme avant la mort de M. Nièpce père, il avait été passé entre lui et M. Daguerre un traité par lequel ils s’engageaient mutuellement à partager tous les avantages qu’ils pourraient recueillir de leurs découvertes, et comme cette stipulation a été étendue à M. Nièpce fils, il serait impossible de traiter isolément avec M. Daguerre, même du procédé qu’il a non-seulement perfectionné mais inventé. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que la méthode de M. Nièpce, bien qu’elle soit demeurée imparfaite, serait peut-être susceptible de recevoir quelques améliorations, d’être appliquée utilement en certaines circonstances, et qu’il importe, par conséquent, pour l’histoire de la science, qu’elle soit publiée en même temps que celle de M. Daguerre.
« Ces explications nous font comprendre, messieurs, par quelle raison et à quel titre MM. Daguerre et Nièpce fils ont dû intervenir dans la convention que vous trouverez annexée au projet de loi.
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