Le tirage original en photographie
De quoi parle t-on en désignant le tirage original en photographie ? [Cet article s’appuiera sur mon engagement en photographie qui est argentique… Les «numéristes» feront la transposition].
Un collectionneur -débutant- apprend à reconnaître ce qu’il achète pour pouvoir apprécier [dans le sens aimer et dans le sens évaluer] deux choses essentielles : l’origine et la valeur de son achat.
La valeur d’un tirage n’est pas forcément liée à la renommée de l’artiste. (Même si, bien évidemment, cela y contribue !). Sur le terrain du marché de l’art, il y a le premier marché : la photographie est en vente dans une galerie ou dans l’Atelier de l’artiste. Le second marché : c’est la revente des œuvres, déjà achetées. Cette revente se fait entre particuliers, institutions, amateurs et collectionneurs, en direct ou via les salles de vente lors de ventes aux enchères. Dans le jeu de l’offre et de la demande, moins il reste d’œuvres en vente sur le premier marché et plus le prix de l’œuvre augmente. [À lire dans un prochain article…]
Le tirage original en photographie : désignation
Sous le même vocable s’agrègent plusieurs parties qui sont à la fois séparées et hautement liées : la partie « fabrication », intimement liée à la partie « artiste » et la partie qui sort de l’atelier, qui se vend, et s’achète, et qui, alors, touche au domaine législatif, puisque toute chose faisant l’objet d’une transaction est domaine de la législation.
N’oublions pas que le législatif encadre la notion d’œuvre photographique sans statuer sur les considérations artistiques, le législatif traite cette question, uniquement du point de vue du nombre de tirages à disposition. ♣
Vous avez cet objet en main. Un objet que l’on appelle : photographie originale, tirage original, épreuve originale. Communément, on entend parler de photographie, de tirage, d’épreuve, d’agrandissement, sans forcément y ajouter le terme original.
Ce qui est complexe c’est que le terme photographie est autant le contenant que le contenu. Le contenu, c’est l’image – le contenant c’est le support sur lequel est tirée l’image.
Pour bien comprendre la notion de tirage, imaginons une sculpture en platine ou en bronze ; contrairement au bois ou au marbre qui se façonne directement dans la pièce brute, l’artiste doit d’abord faire un moule en plâtre, en résine, en latex, en silicone – l’équivalent de notre négatif. Ce moule va servir à couler de la matière et à sortir un certain nombre de pièces. On parle de 1er tirage pour la première pièce, puis sortent les pièces suivantes. Toutes sont numérotées.
Le lien avec la photographie est aisé à faire. Contrairement au polaroïd qui est un positif direct [encore qu’il existe un certain type de polaroïd noir et blanc à négatif récupérable], le négatif est la matrice de laquelle je peux tirer de nombreux multiples [ou limiter leur nombre]. La photographie n’est pas la seule discipline dans laquelle il y a du multiple : la gravure, l’estampe, la sérigraphie. La dimension du négatif est liée au format de l’appareil photo.
Un tirage original c’est un tirage définitif, achevé, abouti, absolu [un master-print, en anglais], réalisé en personne par le-la photographe ou par un tireur.e dans un laboratoire sous le contrôle du photographe, validé et signé. La seule destination du tirage définitif est son existence de tirage. Une œuvre de collection. En conséquence, un tirage n’est original que du vivant de l’artiste.
Ça me paraît toujours nécessaire de multiplier un tirage définitif, sur le moment. Si après ce premier tirage définitif, j’opère sur le deuxième tirage des variations, je considère que le premier n’était en fait pas définitif, je recommence alors à élaborer ce premier tirage définitif. Si le deuxième est quasi identique au premier, alors c’est du définitif. Le travail se faisant manuellement, tirage après tirage, on peut considérer chaque tirage comme une pièce unique. [Il y a d’infimes variations sur chacun des tirages – dues à la gestuelle du tireur, aux variations d’intensité lumineuses même minimes, aux variations de température des bains chimiques, à leur dégénérescence (usure), le temps laissé dans les bains, et enfin au séchage qui donne la tonalité définitive des gammes de gris, c’est visuellement différent quand le tirage est mouillé].
Le tirage original en photographie : fabrication-création
L’ objet tirage est une image-représentation sur un papier photographique industriel au bromure ou au chloro-bromure d’argent, ou artisanal en repartant des formules anciennes [des débuts de la photographie 19ème siècle ] en émulsionnant soi-même les papiers [au palladium, au platine, au charbon].
La combinaison des traitements chimiques, du support-papier et de son émulsion, qu’il soit industriel ou artisanal, en font une matière qui bouge dans le temps. Elle mature, se détériore parfois. Du soin et de l’attention portés à l’opération-tirage, va découler son espérance de vie, sa stabilité et sa conservation.
Souvent, surtout quand le tireur n’est pas le photographe, il y a un tirage de lecture. Première interprétation du négatif, le tireur le montre au photographe qui donne son idée de : comment le tirage, au final, doit être. Le tireur recommence jusqu’à obtenir les rendus qui correspondent aux attentes du commanditaire. ♣♣
La réalisation d’un tirage définitif, passe par tous les essais que l’on fait pour mener un tirage. [Je dis toujours : un tirage doit être plus que beau, il doit être personnel !] Un tirage est, pour moi, de mon corps et de mon âme, de mes connaissances et de mes choix. Choisir le type de papier, les traitements chimiques, les mode de lavage, de séchage et de pressage, le rendu des lumières, les gammes de gris, les contrastes, tout ce qui donne corps à l’image choisie, et en fait sa qualité. La qualité du tirage ! Et n’oublions pas… la qualité du tirage, c’est la qualité de la photographie, la qualité de l’image. La signature vient valider le résultat.
Le tirage original peut être d’époque, [vintage, en anglais] contemporain de la prise de vue, ou tardif.
⇒ Je veux faire des photographies, je pars donc en prises de vue.
De retour à l’Atelier, je développe mon-mes films, puis je tire des planches-contacts, [au rapport 1:1 la taille de mon image positive est identique à la taille de mon image négative] qui montrent sur une seule feuille les 24 ou 36 vues photographiques-images. La planche-contact, comme première lecture des photographies sert aussi de système d’archivage. Je choisis de quelle image je veux avoir un tirage (agrandissement par rapport au format de mon négatif d’origine), je fais un ou plusieurs tirages, (le nombre est déterminant, nous verrons cela plus loin) d’une vue, tout cela « dans la foulée – une foulée plus ou moins longue, du jour au lendemain, au sur-lendemain, du jour à la semaine ou au mois ! Alors disons dans la foulée de la préoccupation du moment » C’est un tirage original d’époque.
⇒⇒ J’ai développé mon-mes films, j’ai tiré certaines images mais pas toutes, et quelques années après, regardant à nouveau mes films ou mes planches-contacts, je découvre une image sur laquelle travailler. Cela sera un tirage original [puisque c’est moi, la photographe qui fait le tirage], mais il s’est écoulé 2-3-5-10 ans, après la prise de vue. C’est donc un tirage original tardif.
Pratiquement tous les tirages des photographies de Vivian Maier ne sont pas des tirages originaux, sauf ceux qu’elle a donné à tirer dans un laboratoire pourraient être considérés comme tel. Et encore, parce que même si elle a donné quelques directives, les tirages n’ont pas été faits en étroite collaboration, sous son contrôle. Ce sont des tirages modernes, [avec des papiers d’aujourd’hui] réalisés dans un laboratoire de tirage par un tireur à partir des négatifs existants. Tandis que tous les tirages des photographies de Josef Sudek sont des tirages originaux, faits de la main de leur auteur. Ils ont souvent la même taille que leur négatifs, Sudek, travaillant à la chambre photographique avec des supports négatifs moyen et grand formats [Relire l’article Josef Sudek, le triomphe de la lumière]
La notion d’œuvre originale est variable selon la « discipline » artistique. En photographie, [une matrice et du multiple], pour le juridique et la fiscalité, une photographie [image photographique] est une œuvre d’art originale, dans la mesure et la seule mesure où elle a été tirée dans la limite de 30 exemplaires tous formats confondus. Les exemplaires suivants sont considérés comme des copies.
ET, pour une définition classique : une œuvre originale est celle qui exprime la personnalité de son auteur. C’est une œuvre de l’esprit. D’un esprit ! Elle est fatalement subjective pour la protection des œuvres artistiques qui sont aussi le domaine du droit d’auteur. Effort créatif et expression de sa personnalité, de ses idées, de ses partis pris.
Lire : L’évolution de la notion d’originalité dans la jurisprudence /Basile Ader
« La photo est-elle une “œuvre de l’esprit”, susceptible d’être protégée par le droit d’auteur ? C’est en effet à cette condition seulement que le photographe obtiendra le sésame des droits reconnus à un auteur par le code de la propriété intellectuelle. La question de savoir si un photographe est un artiste ou simplement un technicien s’est posée dès l’avènement de la photographie.»
J’ai toujours fait mes tirages, [sauf au tout début, ≅ années 1975, je faisais alors des photos en couleur que je donnais à développer chez le photographe de mon quartier, je n’avais pas encore de laboratoire]. Je ne peux pas envisager de ne pas faire mon tirage. C’est un tout ! Tout autant que la prise de vue ! C’est là que j’essaie de donner sa lettre de noblesse à mon image, d’en restituer sa lumière, ses matières. Je suis une passionnée des gammes de gris ! Des noirs, des blancs et des gammes de gris. C’est là que ça se manifeste. Il faut que l’image se déclare et s’affirme. C’est physique et même charnel ! Il y a un lien entre le corps de l’image et mon corps, mes yeux, mes sens. Il y a un lien entre la prise de vue et le tirage. Je vois mieux ! Je tire mieux ! Au fil des années, je cherche à me rapprocher de la lumière, à gagner des sortes de gris, et cela bouge. C’est intense et précieux. Là où j’ex-prime, là où je révèle ce que je ressens, ce que je veux !
Quand le photographe est mort, on parle alors de retirage. Cela peut être à partir d’un négatif déjà tiré du vivant de l’auteur ou non. Le possesseur des négatifs ou les ayants-droit, [ce ne sont parfois pas les mêmes] L’interprétation est alors totale, réalisée sans le contrôle du photographe. (C’est le cas des photographies de Vivian Maier).
Autres exemples de formes de tirage :
Le tirage de presse est en général un tirage aux tonalités moins contrastées pour répondre aux critères de l’impression.
Quand le négatif original a été abîmé ou perdu, on fait un contretype [ou reproduction] à partir d’un tirage photographique existant ; Donc, on re-photographie le tirage et on obtient un nouveau négatif pour pouvoir faire à nouveau des tirages. Il n’y a pas d’indication de choix de support, contrairement au fac-similé.
Le fac-similé est un tirage obtenu à partir d’un négatif original ou d’une reproduction [nouveau négatif]. Il faut alors que le support de tirage [type de papier utilisé] et le traitement associé [type de traitement chimique] soient identiques à ceux du tirage de référence.
J’ai fait en 1990, des fac-similés, que j’ai aussi appelés « copies à l’albumine » des tirages de Félix Bonfils. Pas de négatif disponible = reproduction des photographies contrecollées dans un album = obtention d’un négatif 24X36 mm = agrandissement du négatif sur un film négatif au format du tirage, soit 22X28cm. Tirage du négatif insolé à la lumière du jour, par contact, au format, pour obtenir un tirage positif 22X28cm. Préparation des papiers à l’albumine et au nitrate d’argent. Les tirages d’origine sont des tirages à l’albumine.
♣ (Article 98A de l’Annexe 3 §7 du C.G.I. – code général des Impôts « Biens d’occasions, œuvres d’art, objets de collection et d’antiquité » dont la vente ouvre à la vente à taux réduit : 5,5% « II. Sont considérées comme œuvres d’art, les réalisations ci-après : §7: Photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus »
♣♣ Les tireurs-photographes font parfois des tirages de lecture pour vérifier leur choix sur la planche-contact, quand il y a un doute ; pour « voir » ce que ça donne une fois agrandi, avoir un premier aperçu des teintes, faire un recadrage, bref tout ce qui peut permettre de travailler avant d’arriver au tirage définitif. Personnellement, je n’ai jamais fait de tirage de lecture. Pendant des années, j’ai choisi sur négatif, pour bien comprendre l’inversion des valeurs. Depuis quelques temps, je double ou triple mes planches-contacts en les exposant à des temps différents pour avoir les valeurs du négatif et des valeurs plus sombres et plus claires. Ce qui revient à commencer à travailler sur les teintes du tirage définitif.
Pour bien faire, il faudrait, chaque fois que l’on expose des photographies, indiquer sous chaque tirage encadré, « tirage d’époque ou tardif », avec la « date du tirage », original – « fait de la main de l’auteur » ou « le nom du tireur », ou « copie » (au-delà des 30 exemplaires), ou « retirage » ou « tirage moderne » avec le nom du tireur, le « nombre d’exemplaires ». C’est parfois indiqué sur la présentation de l’exposition et la liste des prix.