Le prix d’une photographie
Au cours de mon exposition à La Toute Petite Galerie, l’été 2022, plusieurs personnes m’ont demandé : « Comment le prix d’une photographie est-il fixé dans une galerie ? » Cela a fait l’objet de discussions plutôt intéressantes et quelques-uns m’ont demandé d’écrire un article à ce sujet.
Le sujet est vaste [autant de sortes de photographes et autant de sortes de situations…]
Je traiterai de ce que je connais le mieux : la photographie argentique, travaillée par un.e photographe artiste-auteur.e, type de photographe qui, en général, engage ses fonds propres pour mener à bien son travail. Et je dirai un mot de la photographie de commande, dite commerciale à la fin de cet article.
J’aborderai deux questions : le concret du coût de fabrication d’une photographie [de la prise de vue-au développement du-des film.s-au tirage des tirages originaux- à l’exposition dans une galerie ou autre, et vente d’un tirage original] et le plus subjectif de la valeur d’un tirage original. [Lire l’article Le tirage original en photographie]
Le prix d’une photographie : tout ce qui “coûte”… c’est concret !
Toute production a un coût et la photographie n’y échappe pas ! Le tirage original que vous avez sous les yeux est le produit de toute une chaîne, en amont, qui permet de l’avoir. Faire de la photographie [argentique] coûte cher !
Au commencement est l’appareil photo. Bonne nouvelle, nous trouvons actuellement, (depuis l’arrivée du numérique) des appareils photo d’occasion pour l’argentique, de bonnes occasions… Évidemment si on veut travailler au Leica, les prix bas sont rares ! Un trépied, et/ou/ un monopode, une cellule à main.
Au commencement est le laboratoire. Un sacré investissement : La liste est trop longue pour cet article, (à suivre) je mentionnerai juste l’agrandisseur avec optique et tous ses accessoires de travail et tout ce qui concerne les traitement chimiques films et papier.
Bien entendu, chaque photographe a sa manière ! de se déplacer, de choisir son hébergement, de déterminer le nombre de films à emporter, je choisirai donc une situation avec des variables fixes et des variables à ajuster selon.
PARTIR EN PRISES DE VUE
Les coûts vont varier : lieu de prises de vue et nombre de jours
Déplacement : ⇒ Voiture-essence ⇒ Avion Aller et retour ! ⇒ Train Aller et retour !
Hébergement : Nombre de jours de travail ⇒ Location gîtes ou autre ⇒ repas ⇒ déplacements
Prises de vue : ⇒ Films 135mm 36 poses♦ ou 120 mm ou autres…/selon format appareil utilisé.
REVENIR DE PRISES DE VUE
Travail au laboratoire ⇒ Nombre d’heures de travail
Traitement des films: ⇒ Fabrication de la chimie ⇒ eau de lavage ⇒ Archivages ⇒Pochettes cristal ou pochettes neutres [coût variable selon le nombre de films à développer]
Premiers tirages : Planches-contacts ⇒ Fabrication de la chimie ⇒ Papier de tirages♦♦ (ex. RC 24X30cm) ⇒ eau de lavage [coût variable selon le nombre de films]
Temps de travail d’observation : sélection des négatifs pour la réalisation des tirages
Tirages originaux : Le tirage original demande de nombreuses d’heures de travail. Chaque négatif est traité de façon individuelle et singulière. ⇒ Fabrication de la chimie. ⇒ Papiers de tirages♦♦♦ [coût variable selon le type de papier et son format] ⇒ Eaux de lavage [personnellement, je lave mes tirages barytés 12×5 minutes en eaux renouvelées, soit ≅ 450L.eau ]
J’ai toujours entendu dire “Un bon tireur tire en 4 feuilles”. Il faut faire des bandes d’essai, puis un 1er tirage général de teintes, puis un 2ème avec les premières interventions, et ainsi de suite jusqu’à trouver très exactement les valeurs de gris et de lumière que l’on veut. Le nombre de feuilles utilisées est en fonction des qualités du négatif et du savoir-faire au tirage.
Quelques exemples du coût des matières premières fongibles || Prix 2023 : (il y a beaucoup de références, et autant de possibilités de travail, c’est juste un tout petit report – Les prix peuvent être plus chers chez d’autres fournisseurs)
♦ Films 135mm 36 poses :
KODAK T-MAX 100 135-36poses : 12,40 €uros/unité – par 5 : 59,20 €uros 11,84 €uros/unité
KODAK T-MAX 400 135-36poses : 13,20 €uros/unité – par 5 : 63,00 €uros 12,60 €uros/unité
KODAK TRI-X 400 135-36 poses : 12,80 €uros/unité – par 5 : 60,90 €uros 12,18 €uros/unité
(les prix chez Ilford sont un peu plus bas ! ILFORD FP4 PLUS 135-36poses : 10,50 €uros/unité)
♦♦ Papier de tirages pour planches-contacts :
ILFORD MULTIGRADE RC DELUXE BRILLANT 24×30 – 50 FEUILLES : 85,50 €uros // Personnellement, et tant que je peux, j’utilise du grade fixe, que l’on ne trouve plus, qu’il faut donc spécialement commander chez Ilford qui le fabrique. Il est un peu plus cher.
♦♦♦ Papiers de tirages sur support baryté pour des tirages d’exposition :
Trop de références… Pour du papier sur support baryté, (c’est-à-dire non plastifié), Il faut compter environ 120,00 / 140,00 €uros pour 50 feuilles en format 24X30 cm et 230,00 €uros /même quantité au format 40X50 cm. // Personnellement, j’utilise du grade fixe, que l’on ne trouve plus, qu’il faut donc spécialement commander chez Ilford qui le fabrique.
Dans le fongible, on compte aussi tous les traitements chimiques de développement de films et pour les tirages papiers [révélateur-bain d’arrêt-fixateur- entre autres ]
Alors là, comme on dit : “on est dans le dur” ! Jeune photographe (pas très fortunée), même si à l’époque toute la photographie était argentique, alors qu’aujourd’hui, on la dit “de niche” (!), j’ai appris à faire mes tirages sans gaspiller de papier. j’économisais pour acheter une boite de papier que je tenais alors pour un objet très précieux ! C’est resté ! Une journée de tirage au labo, c’est 9h30-20-21h. [Préparer la chimie-Quelques heures pour Faire les tirages-Lavage des tirages- Ménage-nettoyage des cuvettes-Mise au séchage des tirages sur des claies de séchage]
Démarcher, exposer, publier,
Bien entendu, chaque photographe a sa manière et son réseau de diffusion ! Et autant de photographes, autant de choix (même si la question du choix se discute !) pour vendre ses photographies. Particuliers, Amateurs d’art occasionnels, collectionneurs, galeries, institutions, entreprises. Le prix d’une photographie d’auteur.e, dite de création, est libre. C’est à l’artiste et à son diffuseur (quand il y en a un.e) de le déterminer. La justification du marché de l’art, c’est son jeu de l’offre et de la demande. Jeu particulièrement subjectif qui dépend de son réseau d’influence ! [un article sur la valeur de l’œuvre, à venir…]
Quand une galerie expose un.e photographe, elle investit sur un.e artiste. Elle prend à sa charge un certain nombre de postes de dépenses sur un accord commun : Tirages (parfois), encadrements, installation, vernissage, communication. Elle prélève un pourcentage défini, sur les ventes des tirages. [L’institution a acheté lors de commissions d’achat en amont, elle montre ses collections et ne vend pas en direct comme les galeries].
Nous exposons dans des galeries privées, des institutions, des associations. Cela prend ÉNORMÉMENT de temps de démarcher, de rencontrer des décideurs, souvent à plusieurs reprises, avant qu’une exposition soit envisagée. Décrocher des rendez-vous, aller aux rendez-vous (pas toujours sur-place), présenter son travail. La destination est toujours celle d’une rencontre et d’un intérêt commun entre un.e galeriste et un.e photographe.
Il existe de nombreux lieux d’exposition, du plus sauvage [dans lequel en général, le photographe prend tous les postes cités, à sa charge], au plus élaboré ! Le marché de l’art est un marché très complexe avec de nombreux secteurs. La référence est toujours celle la plus proéminente, mais il existe un marché parallèle, qui, tout en faisant moins de bruit, est tout aussi vivant et efficace, et qui, (l’histoire de l’art nous le montre fréquemment) fabrique la future circulation et reconnaissance d’œuvres parfois tout autant, voire plus essentielles ! Le prix d’une photographie est variable selon le périmètre de vente.
Le prix d’une photographie : Vendue !
Une fois vendu le tirage original [les tirages originaux] fait l’objet de différents prélèvements pour s’acquitter des charges sociales et fiscales, et être couvert par la sécurité sociale des artistes-auteurs !
Vente d’un tirage original (tirage limité à 30 exemplaires) sans droit de reproduire.
Vente d’une utilisation d’une image photographique (pour illustrer un livre, catalogue, une brochure, un site internet, etc.) fait l’objet de versement de droits d’auteur dont le montant sera calculé, en fonction de l’utilisation.
Vendus lors d’une exposition quelques tirages, les revenus sont minimes sont déclarés au service des Impôts sur la déclaration annuelle de revenus. [Traitements et salaires ou BNC. Bénéfices Non Commerciaux]
Vendus régulièrement, il est temps de remplir une déclaration d’activité afin de déclarer ces revenus.
Depuis le 1er décembre 2022, le rapprochement de l’Agessa (Association pour la gestion de la Sécurité sociale des auteurs. Artistes-auteurs dans les domaines de la création littéraire, dramatique, musicale, audiovisuelle et photographique) et de la Maison des artistes est effectif et devient donc un organisme unique « La Sécurité sociale des artistes auteurs »
Elle permet de recenser les artistes-auteurs, les diffuseurs et les commerces d’art, de garantir le système de protection sociale par l’affiliation et le contrôle des activités, d’accompagner et informer les artistes-auteurs de leurs droits et démarches en matière de protection sociale, y compris conseiller les diffuseurs et les commerces d’art sur leurs obligations sociales, de soutenir les artistes-auteurs les plus fragilisés avec les aides du fonds d’action sociale. https://www.secu-artistes-auteurs.fr/
Juste un mot de la photographie de commande, dite commerciale [la presse, la mode, la publicité, l’illustration]. Il existe des barèmes selon l’usage que le commanditaire de la dite-photo va faire. Pour cela il existe des syndicats spécialisés en photographie comme l’UPP, par exemple (Union des photographes professionnels /auteurs) : http://www.upp-auteurs.fr/ ou le SNP (Syndicat national des photographes) : http://www.snp.photo/
L’UPP indique par exemple : « Les barèmes indicatifs de cession de droits pour les œuvres préexistantes se sont développés au fil des ans pour constituer aujourd’hui un cahier de 50 pages. Il constitue un document de référence en cas de litiges auprès des tribunaux.» « Ce barème est établi par des professionnels à titre indicatif en fonction des conditions de cessions de droits d’auteur couramment pratiquées dans la profession. Il indique les bases de référence des rémunérations proportionnelles aux différentes utilisations, tenant compte du format de publication de la photographie par rapport au format du support, de la nature du support, du chiffre du tirage ou diffusion de chaque média et de la durée d’exploitation dans le temps.»
En conclusion, le prix d’une photographie c’est : le coût des matières premières, la valeur de l’artiste [notion très subjective et tant mieux !], sa côte quand il est vendu sur le circuit du marché de l’art et c’est l’environnement de sa vente. Il y a une différence notoire entre un prix du vivant de l’artiste, comme on dit, et après sa disparition. Lorsque je vends un tirage original 1.000,00 €uros en direct [Pour rappel, lors de l’exposition Saison 2022 à La Toute Petite Galerie, les prix affichés étaient de 800,00 minimum à 2.300,00€ selon la photographie et le nombre de tirages existants], en amont j’ai fait une Mise de fonds du matériel / Mise de fonds pour partir en prises de vue / Mise de fonds au laboratoire films et tirages / Investissements expositions, avant de m’acquitter des charges sociales et fiscales. Lorsque c’est un tiers qui a vendu le tirage (Galerie par exemple) à ce qui est cité précédemment, je dois aussi retirer la commission prélevée sur la vente. Le temps passé à travailler est quasiment incalculable. Le caractère libre du prix de la photographie d’artiste-auteur, sans les barèmes de la commande, oblige à attribuer une valeur à son travail.