Le tirage argentique en photographie a toujours existé. Par contact, dès l’invention du caloytype, et de tous les procédés suivants, puis par projection dès l’invention des appareils d’agrandissement. La seule exception [pour la question du tirage] est le daguerréotype qui est une vue unique sur une plaque [de métal argenté], à la fois négative et positive.
À l’heure de l’immatérialité consentie, où les photographies ont été remplacées par des images qui circulent dans les limbes virtuelles, nous devons penser à l’Objet de la création, à la Mémoire collective et au Patrimoine. Si les photographes sont soucieux des contenus, nous ne devons pas oublier qu’il n’y a pas dans l’art de la représentation de contenus sans contenants – support et matière – et que ces contenus viennent et vivent dans la matière.
Trois dénominateurs communs pour le tirage argentique en photographie :
Un support : métal – verre – papier – celluloïd – [et toutes sortes de support en création]
Un liant : L’albumine [dès 1850 pour les papiers albuminés] La gélatine [à partir de 1877]
Une matière sensible qui noircit à la lumière : AgNO3 : le nitrate d’argent ou sels d’argent ou halogénures d’argent
Le tirage argentique en photographie
Une histoire pour le tirage argentique
Note : L’histoire des procédés du daguerréotype à l’émulsion au gélatino-bromure d’argent, de 1839 à 1890 est très riche. Je n’en choisis ici que quelques-uns…
À partir de 1839, date à laquelle, rendue publique, chacun pouvait s’en emparer, et pendant une quinzaine d’années, la photographie était entièrement fabriquée dans chaque laboratoire de chaque Amateur et/ou professionnel, de façon artisanale, au fur et à mesure des prises de vue. [Préparation des émulsions-Prises de vue-Développement dans la foulée]
Tous les procédés dit de tirage commencent à partir du Calotype ou papier salé [procédé inventé par Henri Fox-Talbot en 1841 papier négatif/papier positif]
Le papier albuminé, [présenté Louis Désiré Blanquart-Evrard en 1850 en France] [principal procédé de tirages positifs de 1855 jusqu’au tournant du siècle, usage la photo-carte de visite entre 1860 et 1890.]
Ce procédé de tirage argentique utilise l’albumine que l’on trouve dans le blanc d’œuf comme liant des éléments chimiques photographiques. Chaque photographe faisait lui-même ses papiers albuminés. Le papier, très fin, préparé avec l’albumine et le nitrate d’argent, est exposé par contact avec la plaque négative aux ultra-violets de la lumière naturelle, dépouillé à l’eau, et viré à l’or, qui lui donne une teinte sépia selon la concentration.
1849-51 : Essais de collodion pour l’image négative sur verre ←par Gustave Le Gray qui utilise le double négatif et met au point le papier ciré sec.
1851 : Frédéric Scott Archer met au point le premier procédé rapide : le collodion humide. Les photographies ne nécessitaient que deux à trois secondes d’exposition à la lumière. Mais les plaques devaient être préparées, exposées, puis développées en un temps très court, car une fois sèches, elles devenaient insensibles et, impossibles à développer, si la prise de vue avait déjà été faite. Une boîte de développement est intégrée à l’appareil de prises de vue.
À partir de 1855, les plaques sèches au collodion sont disponibles , grâce à Désiré Van Monckhoven. Et Jean-Marie Taupenot améliore le négatif sur verre au collodion par du collodion albuminé sec dont la préparation pouvait être faite plusieurs semaines à l’avance.
Ce procédé va être progressivement remplacé par les aristotypes [émulsions sur papier au gélatino-chlorure d’argent ou au collodio-chlorure d’argent / fabrication industrielle] à partir de 1865. Ces papiers à noircissement direct, ont une qualité photosensible de plusieurs mois. Exposé par contact avec le négatif, le papier est ensuite viré au chlorure d’or et fixé au thiosulfate de sodium, puis soigneusement lavé. Kodak et Guilleminot fabriquent des papiers aristotypes jusque dans les années 1990. Ils seront peu à peu remplacés par le gélatino-bromure d’argent.
Il existe un grand nombre de procédés de tirage avec les sels d’argent ou les sels de fer. Certains sont dits à noircissement direct, d’autres à image latente à dépouillement ou semi-visible à développement ou images latentes à développement.
- Le cyanotype [sels de fer]
- Le tirage à la gomme bichromatée [gomme arabique – bichromate de potassium – pigment]
- Le papier charbon de Poitevin [papier recouvert de gélatine avec bichromate de potassium – pigment/ou charbon]
- Le tirage au platine [platinotypie – papiers aux sels de platine et sels de fer]
- Le tirage au bromoil [oléobromie]
Le tirage argentique : les premiers appareils pour agrandir sont solaires !
→ L’opticien français Noël Paymal Lerebours [Opticien et daguerréotypiste. Son ami Hippolyte Fizeau expérimente les premiers instantanés sur plaque grâce à son procédé d’hypersensibilisation] a été le premier à expérimenter l’agrandissement, en 1853.
→ Le photographe franco-vaudois Édouard Delessert a tiré ses images avec un agrandisseur solaire dans les années 1860.
→ Le photographe belge Désiré Van Monckhoven, [chimiste, opticien, photographe et physicien. Un des plus importants chercheurs dans le domaine de la chimie photographique. Pionnier de l’astrophotographie et de l’industrie photochimique. Il améliore le procédé de fabrication des plaques sèches mises au point par Maddox et crée sa propre usine de fabrication à Gand en 1878] a mis au point vers 1860 un agrandisseur à héliostat (le miroir est mobile et suit le déplacement du soleil)
David Woodward agrandit les images avec son appareil solaire en 1857 à Baltimore, sur le principe d’une lanterne magique. La source lumineuse est la lumière solaire.
Le tirage argentique : la gélatine : une nouvelle révolution qui va durer…
1871 : Richard Leach Maddox [ – photographe et physicien anglais] combine du bromure de cadmium, du nitrate d’argent avec de la gélatine [le bromure de cadmium sera remplacé par du bromure de potassium] et obtient une plaque sèche qui remplace les plaques humides. Ses avantages : plus de rapidité et de qualité, et surtout, elles sont prêtes à l’emploi. Les photographes pouvaient utiliser les plaques sèches commercialisées sans avoir à préparer leurs propres émulsions. La gélatine pouvait aussi s’appliquer sur du papier.
1878 : Charles Harper Bennett [1840 Londres-1927 Sydney], photographe, ouvre la voie de l’instantané. Il chauffe l’émulsion avant de l’appliquer sur le verre, ce qui augmente sa sensibilité et permet des prises de vue au 1/25ème de seconde, Il fabrique et commercialise cette nouvelle plaque sèche.
1881 : Louis Lumière améliore la formule de Monkhoven, [déjà tenté par son père Antoine Lumière. Louis et son frère Auguste inventent un nombre considérable d’appareils pour la transmission des sons, la mécanique et l’électricité. Ils ont déposé 240 brevets dans le domaine de la photographie]. C’est une émulsion régulière, stable dans le temps, plus rapide, pouvant être conservée longtemps avant son usage, sans développement immédiat après la prise de vue, nécessitant peu de lavage et pouvant être produite facilement.
Ces plaques sèches au gélatino-bromure d’argent deviennent bientôt universellement connues sous le nom d’ « étiquettes bleues » et sont commercialisées à partir de 1884. Chaque jour, plus de 5000 boîtes de 12 plaques prêtes à l’emploi sont fabriquées en 25 formats du 4X4 au 50X60. En 1892, Les Lumière inaugurent un atelier de fabrication des papiers sensibilisés au citrate et au gélatino-bromure d’argent. En 1903, ils produiront les premiers autochromes (documentation autochromes). En 1911, ils fusionnent avec la Maison Jougla, pour contrer l’essor redoutable de Kodak.
- 1879 : Georges Eastman [qui fonde Kodak], invente une machine à émulsionner qui permet de fabriquer des plaques sèches photographiques en masse.
- 1885 : Premier Film Eastman [la Eastman American Film]. photographique transparent.
- 1886 : Eastman devient l’un des premiers industriels américains à employer un scientifique à plein temps afin de favoriser des travaux de recherche et la commercialisation du support photographique flexible et transparent.
- 1888 : Appareil photo KODAK mis sur le marché.
C’est la naissance de la photographie dite instantanée. - 1889 : la première pellicule en bobine transparente, mise au point par Georges Eastman et son chimiste-chercheur, est commercialisée sur le marché.
- 1891 : le celluloïd [Son invention est attribuée aux frères Hyatt, en 1870]. On le remplacera par un support de triacétate de cellulose moins inflammable. Il ne reste plus qu’à protéger les bobines de pellicules par du papier noir, pour que l’opérateur puisse lui-même charger et décharger son appareil.
- Une nouvelle société : la Eastman Company. L’essor de la firme et de la photographie amateur est démultiplié. Le papier cesse définitivement d’être un support de prise de vue.
- 1897 : Kodak crée une filiale de propriété exclusive en France.
- 1902 : Kodak invente une machine à développer le film sans utiliser de chambre noire qui permet aux amateurs de traiter leurs propres films.
Le tirage argentique : Premiers papiers pour lumière artificielle
L’augmentation de la sensibilité des papiers photographiques dès le milieu des années 1880, particulièrement de ceux sous le nom de «Gaslight», et les nouvelles sources d’éclairage au gaz ou à l’électricité permettent de généraliser l’usage de l’agrandissement du négatif.
Le tirage argentique : qu’est-ce qu’une émulsion sensible :
La lumière, dans son état de composition et de décomposition, agit chimiquement sur les corps. Elle est absorbée, elle se combine avec eux, et leur communique de nouvelles propriétés. Ainsi, elle augmente la consistance naturelle de certains de ces corps ; elle les solidifie même, et les rend plus ou moins insolubles, suivant la durée ou l’intensité de son action. Tel est, en peu de mots, le principe de la découverte » [Joseph Nicéphore Nièpce dans Notice sur l’héliographie, 1829].
Note : Un halogénure d’argent est un des composés que l’argent forme avec un halogène : le bromure d’argent (AgBr), le chlorure d’argent (AgCl), l’iodure d’argent (AgI). Ils cristallisent et sont fréquemment de couleur claire, transparents ou opalescents. Ils sont très tendres et très solubles dans l’eau. Nous employons le terme « halogénures d’argent » [au pluriel], puisque l’argent est combiné avec plusieurs halogènes. Chaque cristal est formé de plusieurs milliards d’ions d’argent (Ag+) et d’ions de brome (Br−)
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La transformation de l’émulsion :
- De minuscules cristaux d’halogénures d’argent sont précipités et dispersés dans de la gélatine [qui sert de liant].
- Le mélange est étendu sur un support.
- La lumière provoque une décomposition des halogénures d’argent. [Lors de la prise de vue où l’on fait rentrer par l’objectif un certaine quantité de lumière – diaphragme / pendant un certain temps – vitesse d’obturation- le rideau qui s’est ouvert au déclenchement se ferme, ne laissant plus passer de lumière]
- L’image est latente. Elle est faite de minuscules surfaces d’argent réduit [décomposé].
- Le développement chimique, le révélateur, accélère la réduction des cristaux, surtout ceux qui ont été touchés par la lumière et démultiplie la quantité d’argent libre en très grand nombre [argent métallique].
- Le fixateur transforme les halogénures non développées en un sel complexe, qui se dissout avec l’eau de lavage.
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Fabrication :
- La gélatine est dissoute avec du bromure de potassium [et un faible pourcentage d’iodure de potassium] dans de l’eau à 70°.
- Le mélange est versé dans une solution de nitrate d’argent.
- Le tout est mis en première maturation [cuisson].
- Les gros cristaux augmentent aux dépens des petits [ce qui veut dire que la granulométrie peut être + ou – fine].
- Il y aura une deuxième maturation après avoir rajouté de la gélatine pour obtenir une sorte de pâte consistante.
- L’émulsion reçoit alors un bromure soluble pour stabiliser la couche sensible.
- Un produit tannant pour éviter à la gélatine de gonfler dans les différents produits du traitement chimique.
- L’émulsion est étendue sur le support et subit des tensions. [elle se rétracte en séchant]
- L’épaisseur de la couche sèche est de 20 à 30 µm [1 micromètre =10–6 m = 0,000 001 mètre = 0,001 millimètre].
- Le diamètre des grains est de 0,2 à 4 µm [des centaines de millions, voire quelques milliards de grains par cm²].
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Supports et émulsions :
- Une émulsion peut être étendue sur n’importe quel type de support [préparé pour éviter une réaction avec l’émulsion].
- Le papier est à base de fibres de cellulose [+ ou – «pure»] peut exister en différentes épaisseurs.
- Le papier baryté : Avant de recevoir l’émulsion, le support a été enduit d’une couche de sulfate de baryum [corps chimique minéral cristallin anhydre BaSO4 (de la barytine)] Éviter de rentrer dans les fibres du papier et donner un éclat blanc.
- Le papier RC [resin coated] : pas de baryte mais une fine couche d’un composé plastique [barrière avec l’émulsion].
- Une couche d’émulsion pour les papiers à grades fixes [à concentration différente selon le grade].
- Plusieurs couches d’émulsion dans les papiers multigrades. [les gélatines colorées interfèrent avec le spectre lumineux].
- La texture des papiers [brillant/mat/semi-mat/perlé] produit un aspect de surface, une finesse dans les détails, et une étendue de possibilités de gammes de valeurs de gris différentes.
Le tirage argentique en photographie est donc [aussi] une histoire de matières chimiques fabriquées, stabilisées, transformées par la lumière et les traitements chimiques, lavées, séchées, conservées.
Le tirage argentique en photographie est soumis au temps. Les supports sont fragiles, les matières sont chimiquement actives au contact des autres tirages, au contact d’autres supports, au contact des boîtes qui les conservent [si elles ne sont pas neutres], au contact de l’environnement dans lequel elles sont conservées, au contact des doigts des personnes qui les manipulent, à la pollution atmosphérique. Les oxydations et les diverses migrations causent des dégâts irréversibles.
Nous devons nous préoccuper de cette matérialité : Opérer de bons traitements chimiques avec des produits de bonne qualité, ne pas négliger le lavage qui permet de dégager les produits chimiques résiduels, protéger les tirages, ne pas les maltraiter. Cela fait partie du travail des photographes [du moins de ceux qui s’en préoccupent].
Évidemment nous n’enfermons pas les tirages en capsule. Nous les regardons, nous les exposons, nous les vendons. ils changent donc de cadre de vie, et vivent leurs vies… Si le travail a été bien fait en amont, alors la longévité du tirage argentique est prolongée.
♥ Faire un stage d’initiation ou de perfectionnement de tirage argentique N&B : Renseignez-vous
♥ La Fabrication des plaques sèches photographiques au gélatino-bromure d’argent en 1886 : le fonds photographique Poyet
♥ Photographie par les procédés anciens : Renseignements sur les procédés pour les faire soi même : http://www.disactis.com/
♥ Et bien sûr, Le référentiel de tous les procédés en photographie : le vocabulaire de la photographie.
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